Souvenirs, Part 1 – February 2010 – Big Bend National Park, TX, USA


– – – For English scroll down or click here – – –

– Full slide show at the bottom of the page – Diaporama complet en bas de page -

Certaines expériences sont bouleversantes et on peut sentir, lorsqu’elles sont vécues, qu’elles constituent une sorte de point de non-retour. Il y a clairement un avant, et un après, une forme de rupture dans l’évolution normale des choses. Il n’est pas nécessaire de vivre l’impossible : il suffit parfois d’un rien, d’un petit quelque chose qui puisse faire vibrer une corde sensible pour revenir changé. Quelques randonnées dans des parcs nationaux des USA à des périodes ou ceux-ci étaient déserts ont constitué de tels souvenirs, de véritables expériences marquantes qui ont probablement transformé ma façon de voir et de faire les choses. Retour sur ces quelques moments.

– – – – – – – –

Entering the Chisos Mountains, a bit after leaving the parking lot.

Un peu après le parking, en pénétrant dans les Chisos

– – – – – – – –

1 – Février 2010 – Big Bend National Park

Assez peu connu à l’étranger, Big Bend National Park est un des deux parcs nationaux Texan, situé au cœur du désert du Chihuahua, le long du Rio Grande qui symbolise la frontière avec le Mexique. Frais à froid la nuit (il peut geler, surtout en février), les journées sont chaudes et largement ensoleillées. Au centre du parc on retrouve une zone particulière : les Chisos Mountains (point culminant à 2385 m), véritable oasis qui abrite une végétation et une faune particulière de ces montagnes du désert. Le parc est souvent pris d’assaut lors des vacances de printemps, le Spring Break américain, ou vers la fin de l’année (Thanksgiving voire Noel). Il peut donc être particulièrement intéressant d’aller s’y promener en dehors de ces périodes d’affluence, en février par exemple, à condition qu’il n’y ait pas eu de neige, ou alors juste ce qu’il faut afin d’alimenter les rares points d’eau.

The Boot, a rocky monolith in the Chisos Mountains

« Premièrement, vous ne pouvez rien voir depuis une voiture ; vous devez sortir de cette maudite machine et marcher, ou mieux encore ramper, à l’aide de vos mains et de vos genoux, sur le grès et à travers les buissons épineux et les cactus. Quand les traces de sang commenceront à marquer votre chemin alors vous verrez quelque chose. Peut-être. Probablement pas. »

Edward Abbey – Désert Solitaire

C’est cette petite phrase d’Edward Abbey qui finalement m’ouvre la porte des possibles : ne pas s’arrêter devant l’inconfort, aller plus loin, accepter d’être finalement petit dans cette vaste nature. Big Bend, bien que situé au milieu d’un désert particulièrement hostile, présente tout de même la particularité de regrouper 1200 espèces de plantes, 450 espèces d’oiseaux, 56 espèces de reptiles et 75 espèces de mammifères, sans parler des insectes… Afin de pouvoir observer, sentir, approcher ce monde fragile, il est nécessaire de s’engouffrer dans ces montagnes et de quitter les routes. En 3 ou 4 jours, il est possible de prendre son temps et d’effectuer, en randonnant, une large boucle permettant de visiter les Chisos et d’en faire le tour.  

Comme souvent aux USA, il est nécessaire de s’enregistrer auprès du bureau des rangers du parc. On commence par me faire signer un papier mentionnant les risques de la randonnée en solitaire. Le ranger de service énumère les dangers : ours, couguars, serpents divers dont le fameux serpent à sonnette qui, araignées, scolopendres venimeux… Il prend ensuite plusieurs photos : moi-même, la veste, les chaussures et le sac à dos. Suis-je toujours prêt à partir ? Bien sûr…

Sur une carte, il désigne les 50 km de l’itinéraire et surtout les deux uniques endroits susceptibles d’être des points d’eau, sans aucune certitude. Le sac est donc alourdi par 4 ou 5 litres de liquide histoire d’avoir de la marge, un duvet chaud permettant de profiter pleinement des longues nuits d’hiver ainsi que « Désert Solitaire » d’Eward Abbey. Est-il un lieu plus propice à la lecture d’un tel ouvrage ? 

À l’époque j’écris ces quelques lignes :

« Secrètement j’espère rencontrer un ours ou un couguar. Pas trop près, bien sûr. Pas trop loin, non plus. J’aimerais que ce soit plus qu’un instant fugace, un échange de regards qui me marquerait, le fauve poursuivant alors sa route d’une démarche nonchalante, sans fuir. C’est sur ces instants de rêve que je m’enfonce lentement dans les Chisos, attaquant directement des pentes modérées qui font doucement gagner de l’altitude et qui m’éloignent très rapidement de la civilisation. En m’élevant dans ces forêts à la végétation proche du sol, aux arbres noueux et élégants, je découvre au loin le désert. Les herbes jaunes apportent une touche de couleur qui contraste merveilleusement avec le vert et gris de la végétation, le bleu d’un ciel dans lequel le soleil est déjà bas – il est 3 heures. À ma surprise, plus haut, lorsque la pente se raidit, je touche quelques petites plaques de neige tombée la semaine précédente : il devrait y avoir de l’eau aux endroits prévus.

J’atteins mon emplacement de bivouac juste avant la nuit, profitant de cette lumière faible pour monter ma tente et préparer mon repas tout en admirant “The boot”. Je consomme abondamment l’eau qui pesait si lourd sur mon dos durant ces 3 heures de montée. Si demain le point d’eau est sec je devrai me contenter de redescendre.  

Il n’y a personne aux alentours, j’ai dû croiser 3 ou 4 marcheurs en montant. Je devrais être seul demain pour m’enfoncer dans le désert. J’aime ces instants du soir où le moindre petit bruit semble terrifiant. Il fait froid, il gèle déjà et il n’est que 18 heures. Je m’enfouis dans mon sac de couchage, arrive à lire une bonne heure avant de sombrer dans un sommeil qui, comme toujours dans ces cas-là, est profond et réparateur. »

The second bivouac on the Dodson trail, just south of the Chisos

La suite de cette randonnée est une errance dans un merveilleux désert, un souvenir tenace qui me ramène souvent à la réalité dure de ce milieu, à la joie de découvrir un filet d’eau peu limpide qui, immédiatement, se révèle être le meilleur des nectars. Le second et dernier bivouac de cette boucle est un véritable nid d’aigle offrant un panorama qui semble encore si réel, presque 10 ans plus tard. La sensation de soif, le poids du sac et des 5 litres d’eau à transporter ou encore la peau qui brule sous la morsure du soleil sont presque oubliés et un effort est nécessaire pour faire remonter ces aspects pourtant indissociables d’une telle entreprise. Les mains ont saigné sur les épines et les cactus, les muscles ont travaillés, la poussière a envahi mon univers et le soleil a brulé la peau. Il n’y a pas eu d’ours, de cougar ou de serpent. Peut-être un aigle doré aperçu de très loin. Pourtant, lorsqu’il faut redescendre vers le véhicule ce n’est pas d’un « retour » qu’il s’agit car c’est bien la sensation d’avoir franchi la porte d’un nouveau monde qui m’habite. 



English :

Some experiences are life changing and, when those are lived, one can get the feeling he has reached some kind of no return point. Clearly, there is a before and an after, like a rupture in the normal evolution of things. It is not necessary to endure the impossible: sometimes a little something is enough or anything that manages to strike this little sensitive chord to come back changed. A few hikes in some US National Parks during low season, when they are almost deserted, gave me such souvenirs, powerful experiences, probably changing the way I’m doing and seeing things. Back on these memories.

– – – – – – – –

Morning on the Dodson trail after a dry and remote bivouac. Amazing.

Petit matin sur le sentier Dodson après une nuit sèche et isolée. Magnifique.

– – – – – – – –

1 – February 2010 – Big Bend National Park

Not very famous abroad, situated in the middle of the large Chihuahua Desert, along the Mexican border marked by the Rio Grande, Big Bend National park is one of the two Texan national parcs. Chilly or even cold at night (it could freeze, especially in February), days are hot and sunny. Near the center of the parc, one specific area got my interest: the Chisos Mountains (highest point at around 7,800 feet), almost an oasis that shelters a different kind of vegetation and fauna, particular to those desert mountains. The parc is often overcrowded during spring break or later, near Thanksgiving or Christmas. Therefore, it could be pretty interesting to hang out there outside those busy periods, in February for example, provided there was no snow, or just enough to supply the few water points.

What a morning on the Dodson trail, alone after a great bivouac

Quel matin sur le Dodson trail après un superbe bivouac

“In the first place you can’t see anything from a car; you’ve got to get out of the goddamned contraption and walk, better yet crawl, on hands and knees, over the sandstone and through the thorn brush and cactus. When traces of blood begin to mark your trail, you’ll see something, maybe. Probably not.”

Edward Abbey – Desert Solitaire

To me, it is this Edward Abbey’s quote that opens the door of possible: do not stop in front of the discomfort, go further, accept to be so little in this wide nature. Big Bend, even situated in the middle of such a harsh and hostile desert, still gather 1200 species of plants, 450 species of birds, 56 species of reptiles and 75 species of mammals, without talking about insects…

In order to watch, feel and approach this fragile world, it is necessary to rush into these mountains and leave the roads. In 3 or 4 days, there is plenty of time to hike straight into the Chisos before heading right into the desert and looping around the south rim.

As is often the case in the USA, it is necessary to register with the park’s rangers’ office. First, I have to sign a form describing all the risk involved by solo hiking. The park ranger lists all the dangers: bears, mountain lions, diverse kind of snakes, spiders, centipedes, … Then he takes a couple of pictures of myself, my jacket, my shoes and my backpack, just in case… Am I still ready to go? Of course, …

On a map, he points out the 30 miles of the itinerary and, above all, the 2 only spots susceptible to be water points, without any certainty. Hence, the backpack is weighed down by a bit more than a gallon of liquid, just to be absolutely sure to have enough, by a warm down sleeping bag in order to fully enjoy the long winter nights and by “Desert Solitaire”. Is there a better place to read such a book?

At that time, I wrote those lines: 

« Secretly I hope to meet a bear or a cougar. Not too close of course. Not too far either. I would like it to be more than a fleeting moment, an exchange of glances that would be reminded, the beast then pursuing its path with a nonchalant approach, without running away. With those dreams in my mind, I slowly sink into the Chisos, following the trail that slowly gains altitude and that, very quickly, drives me away from any civilization. As I climb through these forests with their near-ground vegetation and gnarled and elegant trees, I discover the desert in the distance. The yellow grass brings a touch of color that contrasts wonderfully with the grey and green of the vegetation and the blue of the sky in which the winter sun is already pretty low – it is 3 pm. To my surprise, higher, when the slope is getting steeper, I touch a few patches of snow probably from last week: there should be water at the designated spots.

I reach the established bivouac right before the night, taking advantage of the low remaining light to set my tent and to prepare my meal while admiring “The boot”. I’m using most of the water that was so heavy on my back during those 3 hours uphill. If tomorrow the water point is dry, I will have to go back down. 

There’s no one around, I probably met 3 or 4 hikers on the way up. I should be alone tomorrow while diving into the desert. I like those evening moments when the slightest little noise seems terrifying. It is cold, it is already freezing, and it is only 6 pm. I bury myself in my sleeping bag, manage to read a good hour before falling into a sleep that, as always in these cases, is deep and restful.”

The rest of this hike is a wandering in a wonderful desert, a persistent memory that often brings me back to the hard reality of this environment, to the joy of discovering a rather unclear stream of water that immediately turns out to be the best nectar. The second and last bivouac of this loop is a real eagle’s nest offering a scenery that still feels so real, almost 10 years later. The feeling of thirst, the weight of the bag and the 1.5 gallon of water, or the skin burning under the bite of the sun are almost forgotten and I need to dig in my own memory to bring up these aspects of this project. Hands have bled on the thorns and cacti, muscles were sore, dust has invaded my world and the sun has burned the skin. There were no bears, cougars or snakes. Maybe a golden eagle very far away. Yet, when I have to go down toward the vehicle, it doesn’t feel like a “return”, but it simply feels like I have stepped through the door of a whole new world.

Diaporama – Slideshow :

oliclimb@yahoo.com

Leave a Reply